Voyager, c'est accepter d'oublier un peu d'où on vient

"Prenez les coins les plus secs d'un roti de boeuf froid et rassis, auquel vous ajoutez des morceaux de graisse d'origine douteuse, garnis de longs cheveux humains (qui s'empilent comme les perles sur un collier) et de courts poils de
boeuf, ou de chien, ou des deux; et là vous avez une imitation raisonnable de ce qu'est le pemmican"

COMTE DE SOUTHEST, Saskatchewan and the Rocky Mountains, Journal, 20 novembre 1859

Le comte, clairement peu impressionné par les traditions gastronomiques des premiers habitants des prairies, ne s'est jamais donné la peine de laisser chez lui ses préjugés ethnocentriques.

Cela l'a empêché d'apprécier toute l'ingéniosité du processus de préparation des aliments. La viande maigre séchée et broyée avec des masse de pierre jusqu'à ce qu'elle soit toute molle. On y incorpore des fruits sauvages, puis on verse du gras fondu sur la préparation de façon à la rendre plus appétissante.

Le comte n'a pas comprit que la viande séchée qui pèse six fois moins que la viande fraiche est plus facile à transporter. Surtout lorsqu'elle est placée dans des sacs de cuir cousus et applatis en les piétinant avant que le contenu refroidisse, jusqu'à ce qu'ils aient six ou sept pouces d'épaisseur. Un sac pouvait peser jusqu'à 90 livres.

C'est du contenu de ces sacs, qu'on acheminait jusqu'au poste de traite, dont devait se régaler le malheureux comte. Dommage que son écoeurement l'ait aveuglé.

Notre succès à titre de promoteur de produits tourisques dépend fortement de notre habileté à faire oublier leurs origines à nos invités l'instant de quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures si on est chanceux. Il y a toutes sortes de façons d'accomplir ceci, mais un point commun. Nous devons faire germer une relation véritable entre nos invités et l'expérience à laquelle nous les soumettons, qui les fera passer du statut de visiteur à celui d'intervenant.

Une randonnée dans la prairie naturelle n'a pas besoin d'être une aventure qui teste les limites de l'endurance. Elle peut tout aussi bien être constituée de 5 ou 10 minutes de marche jusqu'à un lieu déterminé, suivie d'une exploratioin au sol des multiples richesses à notre portée: l'élégance délicate du "peigne" ornant le boutelou gracieux (blue grama) qui prend une apparence de cils humains dès qu'il disperse ses graines; les qualités hygroscopiques du "needle-and-thread grass" d'absorber l'humidité à même l'air; ou encore la puissance colonisatrice du "crested-wheatgrass" et la menace qu'elle constitue pour l'intégrité écologique de la prairie sauvage.

C'est fou ce qu'une heure peut passer rapidement quand on s'arrête, qu'on s'ouvre grand les yeux… et on oublie le reste.

Pour interpréter, favoriser la naissance de ce lien entre nos invités et l'environnement; quel qu'il soit (un musée, un sentier, une ferme); nous devons exploiter ce désir qui gît en nous de faire découvrir à d'autres cette destination que nous chérissons tant. Quelle est ce magnétisme que nous éprouvons? Qu'est-ce qui nous fait vibrer?

Il faut faire nos devoirs; trouver l'information inédite qui donne à l'expérience toute sa saveur. Il faut aimer fouiller.

L'industrie touristique ne devrait-elle pas être constituée que de gens curieux dans monde idéal? Il faut s'équipper pour mieux croître. Invitons ces touristes à relever le défi d'aller au delà de leurs attentes.

Vous faites peut-être déjà tout cela inconsciemment. Certains d'entre-vous incorporent aux expériences qu'ils offrent des personnes-ressources qui sont en mesure de mener vos invités sur la voie de la découverte. Votre programme d'interprétation, c'est l'élément qui donne à votre produit touristique toute se distinction.

Les membres d'un groupe de visiteurs que j'ai emmené récemment à un powwow, ont eu surprise de constater qu'ils étaient les seuls non-amérindiens sur place. Mes invités étaient tellement émerveillée par ces couleurs, chants et mouvements qu'il sont resté rivés à leur chaise, au point de ne pas poser de questions.

J'ai pris l'initiative de leur expliquer comment j'avais fait un don en leur nom au comité organisateur du powwow, un geste qui m'a valu la rituelle et cordiale poignée de main.

Je leur ai expliqué la signification des danses et des chants.

Puis je les ai invité à me suivre sur le terrain pour qu'ils voient de plus près que ces tambours et chanteurs qui entonnent leur air d'une même voix ne sont pas des enregistrements. Avant l'invention des amplificateurs, les danseurs évoluaient autour des tambours.

Sur notre parcours, je leur ai offert de goûter à une soupe au riz et au chevreuil accompagnée de bannique. Ils ont trempé leur cuillère, porté le bouillon à leurs lèvres, puis sourit de satisfaction au moment de savourer ce repas tout simple avec des papilles gustatives qui avaient retrouvé toute leur innocence.

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