Vélo en Gaspésie : Tour de force

PAR ANDRÉ DÉSIRONT

« Vous faites le tour de la Gaspésie en vélo! Et vous avez grimpé la Madeleine? »

Tous les Gaspésiens connaissent « la Madeleine », cette côte de six kilomètres de long qu'on attaque en quittant le petit village de Rivière-Madeleine. Et quand on leur répond que oui, on a « grimpé la Madeleine », ils vous complimentent sur votre forme physique en vous décochant le regard méfiant habituellement réservé aux pervers, en l'occurrence aux masochistes.

La « Madeleine » est la première d'une série de montées et de descentes vertigineuses, dont le degré d'inclinaison varie de 14 à 18 %, qui se succèdent entre Rivière-Madeleine et le parc Forillon. Même si c'est la plus longue, ce n'est pas la plus pénible. Les cyclotouristes qui, comme moi, ont déjà fait le tour de la péninsule gaspésienne dans le sens des aiguilles d'une montre savent qu'en quittant Rivière-Madeleine, ils vivront deux jours d'enfer - ou de plaisir, c'est selon - et que la seconde journée sera la plus dure. Entre Saint-Yvon et Cap-des-Rosiers, à l'extrémité Est de la route 132, les côtes se succèdent à un rythme continu et on a l'impression qu'on n'en verra jamais la fin.

Pour moi, la « Madeleine », c'est aussi un repère. C'est là, alors que la route cesse de longer le littoral pour s'insinuer entre les contreforts des Chics Chocs sur une vingtaine de kilomètres, que j'arrive au bout de ma partie favorite de cette tournée à vélo de 900 kilomètres. Car le tronçon que je préfère, c'est cette portion du littoral qui s'étend sur une centaine de kilomètres entre Sainte-Anne-des-Monts et Rivière-Madeleine. Sur tout le reste du parcours, il faut souvent quitter la 132 et rentrer dans les villages pour trouver le point de vue qui réserve une vue saisissante sur les caps et les contours tourmentés de la côte.

Par contre, entre Sainte-Anne-des-Monts et Rivière-Madeleine, la route est coincée entre la mer et la falaise. Il suffit de lever la tête pour embrasser la splendeur du regard. Les villages, qui se succèdent tous les dix kilomètres, ont des noms qui chantent: Tourelle, Marsoui, Ruisseau-à-Rebours, L'Anse-Pleureuse, Gros Morne, Manche d'Épée... Tous sont blottis dans des baies, là où la falaise a laissé un peu de place pour construire deux ou trois dizaines de maisons, et la plupart sont veillés par ces sentinelles blanches et rouges, les phares, aujourd'hui automatisés et transformés en musées.

Ces villages ont été fondés voilà un peu plus d'un siècle par des pêcheurs de Montmagny, de l'Islet ou de l'Île d'Orléans, qui s'y réfugiaient pendant les grosses tempête de fin d'automne et qui s'y retrouvaient bloqués par les glaces. Certains décidaient d'y faire souche, pour se rapprocher des bancs de morues.

Leurs descendants y vivent d'autant plus modestement que l'épuisement des stocks et la surexploitation de la forêt les condamnent à une relative pauvreté. Cela confère aux lieux des airs d'austérité qui s'harmonisent particulièrement bien à la grandeur des paysages. La plupart des touristes y passent sans s'arrêter, pressés qu'ils sont d'arriver au Parc Forillon ou à Percé, où sont concentrés l'essentiel des infrastructures touristiques.

J'y reviens périodiquement, depuis 25 ans, et presque rien n'a changé. Je m'attendais au moins à ce que, au fil des années, des restaurants de charme et une ou deux auberges haut de gamme ouvrent leurs portes à Mont-Saint-Pierre qui, en tant que « capitale du deltaplane » de l'Est du Canada, est le plus fréquenté de ces villages perdus. Mais non. On y retrouve encore les trois ou quatre mêmes motels aux noms surannés - Les Délices, Les Flots Bleus... - que voici 20 ans.

Mais c'est sans doute au prix de ce sous-développement touristique que cette portion du littoral baptisée « la Haute-Gaspésie » conserve son charme sauvage.

C'est à ce charme que la grande côte de Rivière-Madeleine m'arrache en s'enfonçant dans l'arrière-pays. Mais je sais que je trouverai bientôt consolation et que, comme tous les cyclistes, je recueillerai le salaire de l'effort 20 kilomètres plus loin, à la halte routière aménagée avant la descente sur Grande-Vallée. Là, la vue plonge sur le gros bourg dont l'église et le presbytère se dressent à l'écart sur un énorme socle rocheux, comme déposés là par un décorateur de génie.

Vieil habitué de la boucle formée par la 132 autour de la péninsule - c'était la quatrième fois que je la parcourais en vélo - je sais quand il faut tourner la tête pour découvrir une vue à couper le souffle. Je connais les chemins de traverse à emprunter pour arriver au point de vue, au musée, à l'attraction ou au phare qu'il ne faut manquer à aucun prix. J'ai mes adresses, mes repères, tout au long du parcours.

À Petite-Vallée, c'est la salle d'exposition du Village en chansons qui retrace l'histoire de la chanson francophone, depuis La Bolduc. On peut passer deux heures, casque d'écoute sur la tête, à redécouvrir les succès qui ont fait vibrer plusieurs générations de Québécois.

Dans le parc Forillon, j'essaie toujours de trouver à me loger à Cap-des-Rosiers, pour aller manger une bouillabaisse Chez Mona, le meilleur restaurant de l'endroit. En sortant, avec un peu de chance, le brouillard se sera levé, conférant aux lieux une ambiance magique renforcée par les meuglements de la corne de brume.

À Gaspé, où un «Comité Centre-Ville » s'efforce de réparer les erreurs du passé (depuis les années soixante-dix, une grande route à quatre voies émascule le paysage, coupant littéralement la ville de sa superbe baie), j'aime m'attarder à une des terrasses de la rue de la Reine et dîner au Brise-Bise, le restaurant-boîte-à-chansons le plus animé de l'endroit.

À chaque voyage, je fais des découvertes. Cette année, ce fut l'Anse-à-Beaufils, près de Percé. Une poignée de passionnés y a rénové les bâtiments d'une vieille usine de transformation du poisson pour en faire un centre d'art. En bas, on trouve une salle de spectacles, une boutique de produits du terroir et un des bistros-restaurants les plus fréquentés de la péninsule. L'étage a été aménagé en grande galerie d'art où une quinzaine d'artistes - peintres, sculpteurs, céramistes... - viennent passer l'été et travailler devant les visiteurs, qui se font de plus en plus nombreux à mesure que la réputation de la Vieille Usine grandit.

Dans le même hameau, un extraordinaire conteur, Rémi Cloutier, fait revivre l'ancien magasin général de la compagnie Robin, ces marchands de morue de Jersey qui exploitaient des comptoirs de pêches tout autour de la Gaspésie. Étagères, marchandises, comptoirs, tout y est dans le même état qu'à la fin du XIXe siècle.

Puis, après l'Anse-à-Beaufils, on s'engage dans la Baie des Chaleurs, où les paysages sont moins spectaculaires. Si le parcours est relativement plat, le cycliste risque d'avoir à y affronter les vents dominants, qui soufflent de l'Ouest. Mais un dernier cadeau du ciel les attend avant de compléter la boucle: une journée à pédaler en longeant la Matapédia, l'une des plus belles rivières à saumons de l'Est du Canada...

Pour de plus amples renseignements sur cette destination ou sur toute destination canadienne, visitez le site de la Commission canadienne du tourisme à www.voyagecanada.ca.

source: Commission Canadienne du tourisme

Cette reproduction n'est pas présentée à titre de version officielle du contenu reproduit, ni dans le cadre d'une affiliation et/ou avec l'appui de la Commission canadienne du tourisme.

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