Folle balade pour desperad-eau en cavale


À Campbell River, sur l'île de Vancouver, une balade aquatique en compagnie des saumons du Pacifique promet de désarçonner quiconque est à cheval sur son train-train quotidien...

PAR MATHIEU LAMARRE

Dès ma plus tendre enfance, je suis tombé sous le charme de l'Ouest. Lucky Luke, Il était une fois dans l'Ouest, les images du Stampede de Calgary dans les pages jaunies d'un vieux National Geographic... Je me voyais dans l'immensité des prairies, galopant au côté de hordes de bisons ou contraignant vers le corral quelque mustang sauvage - tout pour répondre à l'appel rendu célèbre par Horace Greeley : « Go west, young man ».

C'est finalement à l'été de mes 35 ans que je dirige mes chevaux (vapeurs) vers le soleil couchant et fais ma première incursion dans la province la plus occidentale de notre grand pays. Sauf que je découvre graduellement qu'elle est également la plus orientale du lot; aurais-je tiré sur mes rênes un peu trop tard? En Colombie-Britannique, ce sont moins les chevaux que les regards qui sont bridés et on semble y avoir moins d'intérêt gustatif pour les produits du bovin que pour les produits marins.

Confondu mais non moins déterminé à jouer les John Wayne, je me retrouve chez le pourvoyeur d'aventure Paradise Found, installé dans la paisible bourgade de Campbell River. Ce qu'on y promet aux citadins blasés en manque de sensations? Un avant-midi d'observation au beau milieu d'un troupeau de 80 000 têtes en pleine migration. Le Clint Eastwood en moi piaffe d'impatience.

Le petit bus conduit alors notre groupe de dix jusqu'aux abords de ladite rivière. L'eau cristalline glisse dans l'air du petit matin forestier, embaumé par l'odeur des pins - curieux, j'appréhendais presque avec hâte le franc parfum des pommes de route. Le doute s'installe subtilement. On nous fait enfiler d'étranges jeans caoutchouteux, pas très confortables et plutôt humides. Puis, il y a ces curieux étriers, colorés et démesurément longs. Éternel optimiste, je m'efforce de ne pas trop me formaliser de ce contexte peu orthodoxe; je retiens mon souffle et je m'élance!

C'est là que je découvre le pot aux roses: ma monture n'est nulle autre que le courant de la rivière, et ce bétail - le terme n'est pas usurpé - qui me remonte en pleine figure (ou, plutôt, en plein masque de plongée), ce sont des milliers de saumons du Pacifique, d'énormes bestiaux qui font parfois un mètre de longueur!

Frai de déplacement
La saison de frai, de juillet à octobre, permet la congrégation de cinq différentes espèces de saumons et de deux types de truites, dans les bassins des rivières de l'île de Vancouver. Et depuis près de cinquante ans, les baigneurs locaux de Campbell River bravent les eaux froides et l'inlassable courant dans la pratique d'une activité bien particulière mais sans prétention : la récupération des leurres et des mouches artificielles perdus dans le lit du cours d'eau. Jusqu'à ce que Catherine Temple et Jamie Turko, fondateurs de Paradise Found en 1997, s'en inspirent pour imaginer une activité écotouristique unique au monde: l'apnée en rivière à saumons.

Emporté par l'onde, l'homme ou la femme-grenouille est mis au défi de suivre à rebours la course effrénée des vifs-argents, disséminés de part et d'autre du cours d'eau. La température de l'eau à 14°C commande que l'on s'active un tant soit peu dans notre habit isothermique, pour se réchauffer et pour se diriger vers les bancs de poissons plutôt que de dériver comme un vulgaire billot.

Mais lorsqu'on se rapproche, la prise de photos-souvenir dans ces conditions est, inversement, un exercice dans l'art de l'immobilisme...et du synchronisme. Car pour le fuyant poisson, les étranges desseins de ces objets flottants non-identifiés que nous sommes ne valent pas vraiment le détour. À moins d'avoir ignoré la consigne et omis de retirer bagues et autres boucles d'oreille, de « surprenants appâts à truite » selon nos hôtes.

« Nous travaillons de concert avec les inspecteurs de Pêches et Océans Canada pour nous assurer que notre présence n'entrave pas le bon déroulement du frai, » spécifie Jamie Turko lors du briefing préparatoire. « Mais face au succès et à la popularité décuplée de l'activité, nous songeons déjà à établir nous-mêmes des quotas d'achalandage, tout en diversifiant notre offre avec des produits connexes, tels le trekking, l'observation des orques et même l'apnée avec les otaries dans le Détroit de Georgia, » renchérit Catherine Temple. Il est rassurant de constater la saine conscientisation environnementale des deux entrepreneurs locaux, qui semblent vouloir garder le contrôle du filon touristique qu'ils ont déniché.

La descente elle-même n'a rien d'un rodéo en eau vive puisque, dans ses derniers kilomètres où a lieu l'observation, la Campbell est généralement paisible, même si la perspective sous-marine de vitesse par rapport au lit rocailleux peut parfois impressionner. Au pire, dans les passages peu profonds, les guides-accompagnateurs nous rappellent de prendre une bonne inspiration dans notre tuba, question de ne pas se cogner les membres sur les roches. Ou de saluer au passage ces pauvres gauchos, plantés sur les bords de la rivière avec leur drôle de lasso (leur canne à pêche) et qui ne peuvent constater, comme nous, la quantité de purs-sangs qui leur glissent sous le nez.

En fin de parcours, à l'approche de l'estuaire, on aperçoit dans les bassins plus profonds les imposants chinooks et tyees, véritables percherons des salmonidés pouvant dépasser les 30 kilos. Je tente de plonger pour rejoindre ces magnifiques culturistes mais, sans lest de plomb, un pied tendre en néoprène peut difficilement échapper à son comportement de bouchon.

Résigné, je fais surface et me dirige vers le point de sortie, épuisé comme un vieux desperado qui n'a d'autre envie que de retirer sa chemise poussiéreuse, s'asseoir au soleil et raconter ses péripéties à ses compagnons... pour ensuite recommencer la folle chevauchée le plus tôt possible. « Go west, young man. » Mais n'oubliez pas votre serviette et votre maillot de bain.

Pour de plus amples renseignements sur cette destination ou sur d'autres destinations canadiennes, visitez le site de la Commission canadienne du tourisme à www.voyagecanada.ca

source: Commission Canadienne du tourisme

Cette reproduction n'est pas présentée à titre de version officielle du contenu reproduit, ni dans le cadre d'une affiliation et/ou avec l'appui de la Commission canadienne du tourisme.

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