Les défis de l'hospitalité à Igloolik, au Nunavut

Elijah Evaluarjuk montre fièrement la défense d'un Narval chassé par son fils qui ornera bientôt un des murs de son hôtel.

(article publié initialement dans la revue TOURISME)

Quiconque a passé du bon temps dans l’Arctique canadien comprendra les défis que l’exploitation d’un hôtel en milieu éloigné peut poser. Il faut de la détermination, et Elijah Evaluarjuk en a à revendre. Il est propriétaire de l’hôtel Tujurmivik, à Igloolik, au Nunavut.

« En inuktitut, Tujurmivik signifie ‘endroit où rester’ », explique‑t-il. “ Mon père a ouvert l’hôtel en 1970 et j’ai commencé à l’aider. Il a été élu quatre fois député à l’assemblée législative, à l’époque les Territoires du Nord‑Ouest. Il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de l’hôtel, alors en 1985, j’ai quitté mon emploi à la municipalité pour travailler avec lui. »

Mais Elijah ne pensait pas que son père allait mourir prématurément, en 2002. Soudainement, Elijah s’est retrouvé aux commandes de l’établissement.

« Les coûts sont très importants, ici. Nous n’avons pas de routes comme dans le sud du Canada. Nos denrées nous arrivent par avion. À chaque semaine, nous plaçons une commande auprès d’un fournisseur des environs de Montréal. Il faut prévoir à l’avance. Nous essayons d’obtenir la majeure partie de nos approvisionnements comme les marchandises sèches et les conserves par Sealift, un navire qui nous rend visite une fois par année. Nous veillons à ce que la plupart des produits d’utilisation quotidienne nous proviennent par ce service et en quantité suffisante pour durer un an. »

J’ai rencontré Elijah à la conférence de Tourisme autochtone Canada, à Québec, plus tôt cette année. C’est un homme calme, amical et généreux. La façon dont il porte sa cravate en peau de phoque en dit long sur l’importance qu’il attache à son patrimoine inuit. Il n’est pas le seul : 95 % des 1 600 résidents d’Igloolik parlent l’inuktitut. Cette ville est située sur une petite île située près de la péninsule de Melville, à l’ouest de l’île de Baffin. Igloolik signifie « lieu avec habitations », probablement à cause des huttes de terre que bâtissaient ici les ancêtres d’Elijah. « Igloolik est probablement l’une des plus anciennes collectivités du Nunavut, car elle date de 4 000 ans », annonce‑t-il fièrement.

Évidemment, à ses débuts, l’hôtel Tujurmivik était fort modeste. « Il y avait ces deux vieux bâtiments d’hébergement. L’un servait de cuisine, l’autre comprenait seulement des chambres équipées de seaux hygiéniques [des seaux de cinq gallons recouverts d’un siège de toilette]. Nous n’avions pas de toilettes à chasse d’eau. Nous avons commencé à rénover; il y a maintenant huit chambres, et nous pouvons accueillir 15 personnes à la fois. Il y a une salle à manger et un agréable bar‑salon, où nos invités peuvent regarder la télé. Nous voulons que les gens se sentent chez eux.

« Dans chaque chambre, nous avons accroché de vieilles photos que j’avais conservées et qui datent du début du XXe siècle. Accroché au mur de la salle à manger, il y a un gros ulu [un couperet utilisé par les femmes]. C’est un spécimen de grande taille fabriqué en fer blanc. En décembre, des narvals viennent [à environ 25 milles au nord d’ici] et il y a beaucoup de défenses de narval sculptées dans les environs. J’en ai acheté une et je vais la suspendre au mur pour que les gens puissent la voir. »

Lorsque le gouvernement du Nunavut a été créé, en 1999 et qu’Iqaluit en a été désignée la capitale, on a décidé qu’au lieu d’installer les bureaux gouvernementaux en un seul lieu, il fallait décentraliser. C’est ainsi qu’Igloolik fait partie des 10 localités qui accueillent des bureaux gouvernementaux, explique Elijah. « Nous avons cinq ou six ministères à Igloolik. Mais notre marché le plus important est celui des travailleurs de la construction. Nous faisons venir des gens de métier comme des électriciens et des plombiers. Beaucoup d’entre eux restent à notre hôtel du début de septembre jusqu’à Noël. En plus, nous accueillons beaucoup d’invités gouvernementaux et d’amateurs de chasse sportive.

« J’ai un effectif de huit personnes. Notre chef cuisinier est un de mes cousins. Mon frère travaille ici à temps partiel, tout comme ma fille de 12 ans, durant l’été. Je la laisse travailler trois heures par semaine pour qu’elle puisse prendre de l’expérience. C’est comme ça que j’ai commencé, quand j’avais 13 ans. Je passais la vadrouille. J’ai cinq enfants qui ont de cinq à 18 ans, et trois d’entre eux sont adoptés. C’est dans la tradition d’adopter des enfants de notre parenté; deux d’entre eux sont des enfants de ma soeur et l’autre provient de la famille de mon épouse. Il ne faut pas nécessairement qu’ils viennent de la parenté, mais c’est souvent le cas. »

Elijah Evaluarjuk dit que beaucoup de membres d’autres collectivités arctiques admirent la façon dont les gens d’Igloolik préservent leur langue et leur culture. Si vous appelez à l’hôtel, vous serez accueilli en inuktitut. Elijah espère mettre de plus en plus ce patrimoine à profit.

« Il y a ici beaucoup d’artistes de talent et de bons sculpteurs sur bois. Nous pourrions développer un plus grand nombre de produits touristiques. La faune est abondante et il y a des étendues d’eau à proximité. C’est pourquoi les gens se sont établis ici il y a longtemps. Quand des invités qui viennent ici pour affaires veulent rester un peu plus longtemps, nous les emmenons faire des excursions d’un jour, à motoneige ou en traîneau à chiens. »

Il faut un peu de débrouillardise pour trouver un pourvoyeur local : « Quand des amateurs de chasse sportive arrivent, on fait parfois une annonce à la radio locale. Quiconque veut servir de guide ou diriger un attelage de chiens est invité à se présenter. À partir d’avril, nous pouvons amener les gens jusqu’au bord de la banquise en 30 à 45 minutes—là où l’eau reste libre de glaces pendant toute l’année—pour attendre que les phoques viennent à la surface. Nous pouvons utiliser des motoneiges jusqu’à la mi‑juin. Ensuite, la neige revient à la fin septembre‑début octobre. »

Après leur journée d’activités, les excursionnistes sont invités à goûter à certains délices locaux : « Nous pouvons servir de la viande de morse ou de phoque. Notre salle à manger est réservée à nos invités, mais tous les vendredis, nous l’ouvrons au public pour le petit déjeuner. Et depuis l’an dernier seulement, nous avons commencé à livrer de la pizza en ville et ça fonctionne très bien. »

Pas seulement de la pizza ordinaire; de la pizza à l’omble de l’arctique. Voyez‑vous, pendant très longtemps, l’hôtel Tujurmivik était le seul établissement de ce type en ville, jusqu’à ce que la coopérative locale ouvre elle‑aussi un hôtel, il y a quelques années.

« Il y a maintenant deux hôtels et, sur le plan du marketing, c’est le bouche‑à-oreilles qui fait la différence pour nous. Nous avons des clients qui viennent ici depuis 25 à 30 ans. Ils s’installent chez nous peu importe s’il y a un autre hôtel. L’été dernier, j’ai beaucoup travaillé à rénover les chambres, repeindre, changer les tapis. Je pense que mon père serait content de voir comment nous gardons l’hôtel en exploitation. »

Même au nord du 69e parallèle, il est rassurant de constater que la réussite, dans le secteur de l’hospitalité, dépend toujours de la capacité avec laquelle l’exploitant peut trouver de nouveaux débouchés sans perdre de vue les valeurs fondamentales de son entreprise. Il y a, à l’hôtel Tujurmivik d’Igloolik, quelques idées sages qu’il vaut la peine d’approfondir.

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