Perspectives intéressantes pour le secteur des croisières du Canada atlantique

Le Sea Princess s'arrête à St. John's, Terre-Neuve et Labrador pour quelques heures
Photo: Claude-Jean Harel

(article publié initialement dans la revue TOURISME)

Ces jours-ci, tous les représentants du secteur des croisières dans l’Atlantique vous le diront : les bateaux de croisière sont plus nombreux à faire escale au Canada atlantique. Selon Bernadette McNeil, présidente de l’Atlantic Canada Cruise Association, les visites de bateaux de croisière au Canada atlantique ont augmenté de 33 % depuis 2000. Ces chiffres n’étonnent pas Cathy McGrail, directrice du marketing et du développement des croisières à la Halifax Port Authority : « Comparativement à l’an dernier, nous avons constaté une hausse de 16 % des passagers des bateaux de croisière, qui visitent des attractions comme la citadelle et Peggy’s Cove. »

Voici comment cette tendance se manifeste pour Beth Kelly, propriétaire‑exploitante d’Aquila Tours à Saint John, Nouveau‑Brunswick : « Le secteur des croisières va bien, mais nous avons des creux, comme cette année. Nous attendons 80 000 passagers en tout en 2006, mais 150 000 l’an prochain. »

Mme Kelly, dont l’entreprise offre des circuits touristiques aux passagers des bateaux de croisière, trouve qu’ils sont attirés par des attractions comme la baie de Fundy. « Nous avons les plus hautes marées du monde. La baie de Fundy est réputée et les gens connaissent certains de ses attraits. Il faut dire aussi que Saint John a su susciter de l’intérêt pour toute la région. Nous offrons probablement 20 circuits par jour lorsque les bateaux de croisière sont à quai; nous accueillons surtout des méganavires. »

« Au cours d’une journée type, nous avons accès à une clientèle potentielle de 2 200 à 3 500 vacanciers que nous apportent les croisiéristes Princess, Carnival ou Royal Caribbean. Nous parlons de bateaux comme le Jewel of the Sea et le Sea Princess. Cette année, le Queen Mary 2 vient deux fois. Nous avons une clientèle de 1 000 à 1 500 personnes lors d’une journée normale; aujourd’hui presque toute l’équipe est au travail parce que le Carnival Victory est ici. Il va de New York à Saint John, se rend à Halifax et retourne à New York; c’est une croisière de 5 jours. »

Mme Kelly estime qu’environ 75 % de ses clients sont américains. « Nous leur offrons des circuits qui leur donnent un avant‑goût de la ville. Notre trolleybus fait le tour de Saint John; c’est ce que la majorité des gens veulent, et ils passent ensuite quatre ou cinq heures à se promener sans accompagnement. Les bateaux accostent au centre de la ville; les passagers peuvent marcher jusqu’au marché local et au musée. Nous offrons également des visites à l’extérieur de la ville, notamment au village de St. Martins, où les gens peuvent arpenter le lit de la mer. »

Que ce soit ou non le résultat de la popularité grandissante des croisières, l’une des tendances que Kelly remarque est une diminution des circuits en autocar. « Peut‑être pour différentes raisons : les croisiéristes offrent leurs produits à prix concurrentiel et, depuis le 11 septembre 2001, les gens prennent moins souvent l’avion, mais ils acceptent de se rendre à New York en auto, de monter sur un bateau et de partir en vacances. Dans l’ensemble, les bébé‑boumeurs ne prisent pas beaucoup l’autocar; nous devons leur vendre une expérience, pas un circuit en autocar. Je crois qu’il nous faudra du temps pour y parvenir et, pour le moment, les croisières sont une expérience gagnante; vous vous couchez le soir et vous vous réveillez ailleurs. C’est assez inoubliable. »

Résultat, de nouvelles destinations de croisière voient le jour dans la région. Tracy Singleton est directrice du marketing et du développement des croisières pour Tourisme Charlottetown.

« Jusqu’à tout récemment, Charlottetown n’avait pas été réellement active dans le domaine des croisières, surtout en raison de son infrastructure restreinte. Nous n’avions pas de quai assez long. En plus, il n’était pas droit, ce qui ne permettait pas un amarrage sécuritaire. Nous investissons présentement 15 millions de dollars américains pour restaurer le port, notamment pour élargir et redresser le quai, ce qui nous a permis d’attirer de nouveaux clients pour l’an prochain. À ce jour, Holland America a été le seul grand croisiériste à faire régulièrement escale à Charlottetown, et c’est surtout parce que la dimension de ses navires est adaptée à nos installations. Grâce à cet agrandissement, des bateaux de Princess et de Celebrity Cruise Lines viendront nous visiter en 2007, ce qui est une excellente nouvelle pour Charlottetown. »

Mme Singleton attend 27 000 passagers en 2006. Ce nombre grimpera probablement à 33 000 en 2007. « En fait, nous prévoyons une croissance de 100 % d’ici 2010. Les bateaux passent entre cinq et neuf heures au port. Nous avons observé que les gens adorent faire escale dans une île, car cela ajoute à l’attrait de l’itinéraire. Les croisières Canada‑Nouvelle‑Angleterre sont très prometteuses, et les données démographiques se transforment; nous voyons beaucoup de groupes multigénérationnels descendre des navires, ce qui est merveilleux. Ils semblent à la recherche de destinations sécuritaires (et de paysages spectaculaires), ce qu’ils trouvent en abondance au Canada et en Nouvelle‑Angleterre. »

Les effets de ce développement de destinations sont également ressentis à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Yvonne Power est directrice exécutive de Cruise Newfoundland and Labrador : « Nous profitons du secteur des croisières Canada‑Nouvelle‑Angleterre, mais il y a aussi les croisiéristes européens transatlantiques et le secteur des croisières d’expéditions d’aventure. Nous recevons souvent des bateaux de croisière transatlantiques en raison de notre situation géographique et aussi des bateaux de croisières d’expéditions d’aventure, qui font plusieurs escales dans la province. Certains font le tour de la province, avec des escales au Labrador. Les croisiéristes sont créatifs dans leur planification d’itinéraire et offrent même des itinéraires thématiques; un navire peut mettre l’accent sur les réserves écologiques, ce qui permet aux passagers d’observer les oiseaux. »

« Pour ce qui est des statistiques, nous avons prévu recevoir plus de bateaux et de passagers cette année que jamais auparavant. C’est une année record pour nous, et notre clientèle augmente tous les ans. En 2006, 107 bateaux feront escale dans quelque 37 ports. Autrement dit, de nombreux ports ruraux et urbains de la province accueilleront différents types de bateaux de croisière. »

Mme Power attribue ces résultats au plus grand nombre de navires européens. « Ce sont de plus petits bateaux, mais ils veulent visiter les sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. Ils veulent faire escale dans les ports culturels cosmopolites, dans les ports historiques éloignés, à Battle Harbour et Red Bay. L’histoire, la culture, la géographie et les attractions naturelles jouent donc un rôle important. Nous constatons une croissance généralisée et une augmentation dans le secteur des expéditions d’aventure. »

« Les escales du Polar Star sont peut‑être un bon exemple. Cet ancien brise‑glace, dont les passagers viennent de partout dans le monde, effectue de multiples croisières vers de nombreux ports. Il y a aussi l’Explorer, un bateau d’expédition nolisé par Adventure Canada, et Cruise North Expeditions qui utilise le Lyubov Orlova pour ses expéditions. »

« Nous attendons 60 000 passagers et membres d’équipage cette année. Nous ne connaissons pas le taux de change exact, mais nous savons qu’ils sont un apport économique pour la province. Ils peuvent faire escale dans nos ports une seule fois, ou jusqu’à six reprises, et certains reviennent pour des voyages terrestres de plus longue durée. »

Les acteurs de l’industrie des croisières dans le Canada atlantique sont unanimes : ce premier voyage accompagné en bateau est plus précieux pour la région qu’il peut sembler à première vue. Selon les représentants de l’industrie, jusqu’à 30 % des passagers qui découvrent les destinations atlantiques du Canada lors de croisières reviennent en tant que voyageurs terrestres.

Certaines préoccupations ont été exprimées au sujet de l’incidence environnementale sur la région. Terre‑Neuve‑et‑Labrador a fait des efforts pour sensibiliser les visiteurs qui avaient l’habitude de recueillir des fossiles lorsque les expéditions les conduisaient dans les aires patrimoniales. La campagne semble avoir porté fruit. Sur un autre plan, les risques de pollution demeurent préoccupants. Les exploitants d’entreprise touristique comme Beth Kelly surveillent avec grand intérêt ce qui se passe dans cette région.

« De par leur conception, les nouveaux bateaux tiennent davantage compte de l’environnement. J’ai assisté à des séminaires lors de la conférence sur le commerce maritime [Seatrade] de Miami, où il était question de certaines des mesures qui ont été prises, de la façon dont l’eau de mer est utilisée et filtrée. Il semble que l’eau ressort plus claire que celle pompée à bord. Les nouveaux bateaux possèdent des systèmes complets de gestion des déchets. Avec les bateaux plus anciens, il y avait toujours une inquiétude, mais les nouveaux sont beaucoup plus efficaces. Et dans la baie de Fundy, par exemple, nous avons modifié les routes de navigation pour tous les bateaux afin qu’ils ne heurtent pas de gros mammifères comme les baleines. Je pense que c’est un sujet de préoccupation, mais si vous pensez à la possibilité que 3 000 personnes se rendent à nos destinations en voiture, il faut se demander si ce sont les bateaux de croisière ou les automobiles qui nuiront le plus à l’environnement. Un bateau ou 1 500 automobiles? »

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