« Comment s’est passé votre été? »

(article publié initialement dans la revue TOURISME)

La question se pose partout dans ce vaste pays qu’est le nôtre, et bien que certains parlent d’une saison satisfaisante–ou mieux–, la confiance ne règne pas. Voici comment des intervenants de l’industrie canadienne du tourisme voient les choses :

Dave Seabrook, directeur de Tourisme Fredericton, explique laconiquement : « La saison a été moyenne. Elle a certes commencé lentement; nous avons eu du mauvais temps. Les prix de l’essence et le taux de change ont nui à une partie de notre clientèle américaine. (Le fait que les Américains se considèrent toujours comme étant en guerre a aussi joué.) Juillet a été mauvais; en août, nous avons connu un peu d’amélioration et septembre a été très bon. »

Pour Mélissa Corriveau, directrice de produit chez Groupe Voyages Québec, à Québec, la saison a été exceptionnelle pour la troisième année de suite. « Tous nos pronostics ont été atteints. Puisque nous centrons nos activités sur les voyages en autocar au Canada et aux États‑Unis, nous nous sommes très bien tirés d’affaire. Nous avons remarqué que les voyages dans les Maritimes (Nouveau‑Brunswick, Nouvelle‑Écosse et Îles de la Madeleine) sont moins en demande. Toutefois, la popularité de Terre‑Neuve‑et‑Labrador s’est maintenue. La demande de voyages vers l’Ontario et les États‑Unis a aussi augmenté à cause de la valeur du dollar. Pour ce qui est de l’Ouest canadien, nous y envoyons habituellement de huit à dix autocars, et ça n’a pas changé. »

Mme Corriveau dit que Groupe Voyages Québec a pu éviter certains des désagréments qui nuisent à l’industrie : « Les attentats du 11 septembre 2001 ne nous ont pas tellement affectés. Nous ciblons soigneusement nos clients et nous nous adaptons à l’évolution du marché des voyages de groupe; la clientèle rajeunit et elle veut des produits thématiques de gamme supérieure; nous surfons sur la vague. »

Situation favorable à Terre‑Neuve‑et‑Labrador

Jointe au moment où elle analysait les indicateurs de rendement touristique de la Colonie d’Avalon, au sud de St. John’s, Charlotte Jewczyk (directrice du développement de marché à Tourisme Terre‑Neuve‑et‑Labrador) était également optimiste : « Le nombre de visites est en hausse de 20 %, ce qui est très bon. Dans l’ensemble, le nombre de voyages par avion [en hausse de 8 %] est toujours solide pour la province. On estime que le nombre de non‑résidents venus par avion au cours des deux premiers trimestres a augmenté d’environ 15 % à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Il s’agit surtout de voyageurs qui aiment l’exotisme, hors des sentiers battus. Nos voyages de groupe en provenance des États‑Unis n’ont pas baissé, tandis que la situation a été plus inquiétante ailleurs au Canada. Nos volumes sont plus faibles, mais nos indicateurs de croissance sont systématiquement en hausse. »

Mme Jewczyk constate que certaines zones de la province affichent un meilleur rendement que d’autres. « Lorsque la masse critique est plus importante, les visites et les hôtels marchent très bien, en partie parce que notre secteur des réunions et congrès continue à croître. Tout indique que la tendance se maintiendra l’an prochain. Généralement, nous sommes positifs mais prudents, sachant certains des défis qui se posent et comment le Canada y réagit. Nous continuons à faire connaître notre image de marque et nous renforçons le caractère unique de notre produit; c’est toujours un défi redoutable, mais nous en récoltons les fruits. »

Au Centre d’apprentissage et de villégiature de Memramcook, au Nouveau‑Brunswick, la directrice générale, Susan LeBlanc‑Robichaud, a trouvé le réconfort dans la diversification. « Nous sommes ouverts à l’année. Nous avons un centre de santé complet, avec massothérapeutes et esthéticiennes. Nous avons aussi une école de langue et nous organisons des mariages (plus de 70 cette année). Sur le plan touristique, nous avons connu une légère baisse au cours des trois dernières années, et nous faisons partie des chanceux. Beaucoup sont acculés à la fermeture. »

Sa solution? Se tenir au fait des tendances, « surtout aux États‑Unis. Avec notre centre de villégiature, notre club de golf et nos forfaits, nous sommes un peu à l’abri, et en général, les affaires progressent. Mais comme, au Québec, on essaie de convaincre les Québécois de rester chez eux, nous en avons souffert un peu, puisque nous avons pris l’habitude de compter sur les marchés du Québec et de la Nouvelle‑Angleterre. »

À l’hôtel Comfort du centre‑ville de Toronto, la coordonnatrice des ventes, Samantha Carefoot, explique que les affaires étaient mauvaises en juin et en juillet, à cause des annulations de voyages de groupe, mais qu’elles ont repris par la suite : « Une fois arrivée la fin de l’été, ce fut absolument stupéfiant! Les gens réservaient plus souvent que d’habitude à la dernière minute. Je reçois surtout des réservations du Royaume‑Uni et j’ai aussi une grosse clientèle au Mexique. »

La popularité des voyages autonomes

Celes Davar, président d’Earth Rhythms, à Onanole, au Manitoba, a passé un bon été. « Nous constatons que les gens ont tendance à organiser eux‑mêmes leur voyage. Depuis deux ou trois ans, ils cherchent à réunir des éléments uniques, à voyager par petits groupes et à se renseigner sur Internet ou directement auprès de partenaires distributeurs de voyages. »

De l’avis de M. Davar, le secret consiste à s’associer avec de bons partenaires, des grossistes, des hôtels et des centres de villégiature « puisque vous pouvez commencer à vendre réciproquement vos produits et offrir beaucoup plus de choix aux gens. Je pense aussi qu’on se trompe en insistant trop sur l’été. De nos jours, les gens voyagent pour diverses raisons, à divers endroits et à divers moments de l’année. Nous n’observons pas comment les gens voyagent des centres urbains vers des zones rurales à certains moments de l’année. Il faut donc diversifier nos forfaits, nos expériences de voyage et nos services. »

Dans le domaine de l’agrotourisme, en Colombie‑Britannique, Brent Warner, spécialiste de l’industrie et du marketing direct au gouvernement provincial, a connu un vrai boum : « Notre été a été fabuleux. Le temps a été absolument incroyable. Je n’ai jamais vu un été aussi long. Nous avons donc reçu beaucoup de gens qui ont assisté à des événements agricoles et qui ont fréquenté les étals. Je ne pense pas avoir parlé à un seul exploitant dont les ventes n’ont pas bondi d’au moins 30 %. Et ce n’est pas terminé; octobre est l’un de nos meilleurs mois en agrotourisme. »

Jack Klassen, de Victoire, en Saskatchewan, est propriétaire‑exploitant du ranch Carlton Trail. Il savait que ce ne serait pas une année ordinaire : « L’été a fini par être bon, mais il a été différent; nous avons dû rajuster notre tir en fonction de ce qui se passait ailleurs dans le monde. Vers la fin de l’hiver, nous avons compris que l’Europe germanophone ne serait tout simplement pas au rendez‑vous. Pour combler le vide, nous avons décidé de courtiser le marché albertain. »

M. Klassen raconte qu’il a ciblé des endroits comme Cold Lake, Bonnyville et Lloydminster, et que « cela a très bien fonctionné. Nous sommes nombreux à avoir oublié que la Coupe du monde de football avait lieu en Allemagne et que beaucoup de consommateurs ont changé leurs projets de voyage en conséquence. En analysant les projets de voyage du petit nombre d’Allemands qui sont venus, nous avons constaté qu’ils sont arrivés beaucoup plus tard, soit en octobre! Ils ont tous dit qu’ils avaient modifié leurs projets de voyage à cause de la Coupe du monde. »

Mieux que prévu

Sur le plan de la location de véhicules récréatifs, Bernie Lehman, de Fraserway, à Vancouver, estime que l’été s’est un peu mieux passé que prévu. « Nous nous attendions à un léger ralentissement par rapport à l’an dernier, tout simplement parce que notre contrat de 2006 a été préparé à un moment où le dollar canadien était encore faible. Mais avec le temps, le dollar canadien s’est raffermi, la Coupe du monde a eu lieu en juin et les prix de l’essence ont monté en flèche. Malgré ces trois gros handicaps, nous nous sommes très bien débrouillés. »

M. Lehman confie que Fraserway a connu son meilleur rendement à Whitehorse. « Le Yukon et l’Alaska ont très bien marché, pour plusieurs raisons : les voyageurs qui se rendent dans le Nord regardent moins à la dépense; ils sont en quête du dernier territoire inexploré et c’est parfois pour eux le voyage de toute une vie. Il faut dire qu’à partir de l’Europe, la fréquence du service de transport aérien (deux vols par semaine, de Frankfort à Whitehorse) a certainement aidé! »

Sur l’île de Vancouver, le copropriétaire de la Sooke Harbour House, Sinclair Philip, était un peu perplexe devant le rendement de son établissement et d’autres exploitations comparables : « C’est un peu étrange parce que les chiffres sont si différents d’un commerce à l’autre et qu’il est impossible d’y voir clair en parlant aux propriétaires; il y a donc beaucoup de confusion sur ce qui se passe ici. Les résultats ont été faibles, cet été. En 2003, nous avons atteint un sommet historique, et 59 % de notre clientèle provenait des États‑Unis. En 2004, de fut 55 %; en 2005, 46 %, puis en 2006, 34 %.

« J’ai parlé à des gens qui exploitent un établissement semblable au nôtre, ailleurs dans la province. En 2003, malgré des travaux de construction, leur clientèle américaine était de 49 %. En 2004, elle avait chuté à 36 %; en 2005, à 32 %; en 2006, à 30 %. D’autres membres de l’industrie me disent que leur situation est très similaire. »

Même s’il n’a pas augmenté ses tarifs depuis trois ans, M. Philip a enregistré une baisse de volume. « L’an dernier, nous avons commencé à offrir périodiquement des rabais de 20 %. La baisse du nombre d’Américains change beaucoup de choses. Il n’y a pas si longtemps, les gens nous demandaient notre ‘meilleure chambre’ et ils achetaient souvent une bouteille de vin dispendieux. Maintenant, ils veulent la chambre la moins chère et une bouteille de vin bon marché! »

Même si, en général, l’été s’est assez bien passé – aussi bien à cause de l’excellence du temps que de celle des marchés – il semble que la nervosité règne généralement dans l’industrie canadienne du tourisme. Comme l’a dit Sinclair Philip, l’effet cumulatif du ralentissement des affaires, au cours des quatre dernières années, commence à effrayer certains propriétaires. « L’an dernier, je devais me prononcer sur les changements prévus pour les cinq prochaines années, dans le domaine du tourisme culinaire et dans celui du tourisme canadien en général, et je me suis demandé comment j’allais m’y prendre. Je n’ai pas d’équipe de statisticiens ni de chercheurs à mon service. J’ai interrogé un certain nombre de connaissances dans presque toutes les provinces. Elles m’ont toutes répondu ceci : ‘Nous ne changeons absolument rien. Seulement, nous attachons nos tuques, car nous ne savons pas à quoi ressembleront les cinq prochaines années.’ Alors nous n’apportons aucun changement spectaculaire. »

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