Pique-niquer sous un phare : nouvel éclairage sur une tradition très ancienne


(article publié initialement dans la revue TOURISME)

Lorsqu’une entreprise touristique comme Lighthouse Picnics, de Ferryland, réunit les petits plaisirs de la vie dans un village côtier de Terre-Neuve-et-Labrador, une visite des lieux peut presque se transformer en révélation.

Il y a quatre ans, Jill Curran et Sonia O’Keefe se sont lancées dans une aventure audacieuse. Elles ont commencé à exploiter un commerce de pique‑nique panoramique au vieux phare de Ferryland, à une heure environ au sud de St. John’s. Le phare date de 1870 et fonctionne toujours, mais il a été automatisé en 1970. Des familles qui y habitaient l’ont fait fonctionner pendant un siècle; ce phare est un refuge intemporel, installé dans un décor magnifique.

On a d’ici l’une des vues les plus spectaculaires de la presqu'île Avalon. L’été, on peut très souvent apercevoir des baleines au large du cap Ferryland. « Durant notre toute première année, en 2003, nous faisions tout à l’extérieur du bâtiment. À ce moment‑là, nous faisions la cuisine à Ferryland, nous transportions tout jusqu’ici et nous installions un stand, des parasols, des paniers, et tout le reste. Ça a fait jaser », admet Jill Curran. « Les gens nous disaient : ‘Vous allez quitter votre emploi permanent pour faire quoi?’ Mais ça a très bien marché. Nous n’avons même pas été obligées d’annoncer, ce qui est un autre des grands secrets du succès. »

Le simple fait de s’y rendre est une expérience en soi. Après 25 minutes de marche le long d’une piste qui s’avance entre deux rivages jonchés de rochers spectaculaires, vous arrivez au phare. « Les gens entrent, s’identifient et jettent un coup d’oeil sur ce que nous offrons. Notre menu est limité, mais nous le modifions tous les jours. Nous n’utilisons que les produits locaux les plus frais et, autant que possible, des produits biologiques et équitables. Tout le pain est fait ici, la limonade, tout. Les invités reçoivent une nappe à pique‑nique et un fanion. Il y a des livres qu’ils peuvent apporter pour faire un brin de lecture en attendant leur repas, et ils n’ont qu’à trouver un emplacement et à s’asseoir. Nous préparons la nourriture et nous la leur apportons directement.

« Les fanions nous ont été suggérés par une cliente. Le mot ‘cliente’ paraît un peu trop guindé, parce que beaucoup de gens qui ont encouragé notre entreprise sont devenus des amis. Une de ces amies, qui nous rend visite constamment, a dit : ‘Les filles, il vous faut un système.’ Comme vous pouvez le constater, il n’y a pas de tables numérotées de un à cinq. Elle nous a donc suggéré d’utiliser un codage couleur. Il fallait donner aux clients quelque chose qui nous permettrait de les identifier, car ça devenait ridicule. Nous avions l’habitude d’écrire ‘couple avec deux enfants—l’un avec manteau rose’. Nous passions beaucoup de temps à décrire nos clients. Elle nous a suggéré d’utiliser des pavillons signalétiques. C’est donc ce que nous utilisons maintenant, d’autant plus qu’ils s’adaptent très bien au thème du phare. Nous utilisons les fanions pour apporter la bonne commande à nos groupes de pique‑niqueurs. »

Lighthouse Picnics a tout de suite fait parler d’elle dans le milieu du développement commercial de St. John’s, surtout à cause de l’authenticité rafraîchissante de ce nouveau service. Rien de surprenant, car la réussite de l’opération a été presque instantanée.

« La nouvelle a commencé à se répandre », se rappelle Jill Curran. « Durant l’hiver de 2003, nous avons commencé à rénover les locaux d’habitation du phare. Le bâtiment avait été fermé pendant 21 ans; il fallait remplacer les planchers et les murs, et l’eau courante n’avait jamais été installée. Par chance, nous avons retenu les services d’un excellent entrepreneur, qui s’est chargé de superviser le projet pour nous. Nous avons ouvert en mai 2004 et la collectivité nous a beaucoup appuyés. Depuis l’ouverture, les gens nous ont apporté des photos d’eux‑mêmes qui avaient été prises au fil des ans, et nous avons récupéré des objets anciens qui venaient du phare et qui avaient été entreposés dans des maisons de la localité. Ces objets sont exposés pour nos visiteurs; nous essayons de montrer un peu le rôle que le phare a joué dans la vie des gens de Ferryland. »

Mme Curran et sa partenaire ont mis le doigt sur un aspect fondamental de la vie, dans une région où les pique‑niques sont depuis longtemps un rituel. « Le pique‑nique est une tradition bien ancrée dans beaucoup de sociétés, mais tout particulièrement à Terre‑Neuve. Le dimanche [ou à d’autres occasions], les gens ont toujours pris le temps de s’arrêter, de cuisiner et de s’asseoir pour profiter d’un bon goûter en bonne compagnie. Nous n’avons fait qu’ajouter un peu de nouveauté à une très vieille coutume, et la beauté des lieux rend la journée intéressante pour la plupart des gens. »

Il faudrait donner beaucoup de crédit aux deux jeunes femmes, car elles ont eu l’intelligence de croire qu’elles pouvaient commercialiser les pique‑niques en leur ajoutant une valeur réelle—en les rendant plus accessibles qu’ils ne l’ont jamais été pour les touristes. Jill y croit passionnément : « C’était notre objectif dès le départ. Au début, nous étions seulement deux; mais aujourd’hui, au plus fort de l’été, neuf personnes travaillent avec nous. Nous avons toujours la volonté de servir des aliments de qualité et d’offrir une expérience de qualité. Il ne s’agit pas simplement d’arriver en coup de vent et de se jeter sur vos aliments; il s’agit plutôt de dire ‘venez vous asseoir pour admirer l’océan et les baleines et vous détendre.’ Voilà notre concept. »

Comme pour toutes les grandes idées, la préparation des pique‑niques est assez exigeante. Jill nous confie que « nous devons apporter la nourriture et rapporter nos déchets. Si notre puits s’assèche, nous devons apporter de l’eau pour laver la vaisselle. Nous transportons toute notre eau potable et d’autres provisions. Je mesure seulement 5 pieds 2 pouces, alors il a fallu que je prenne du muscle!

« C’est beaucoup de travail. Nous étions ici vers six heures, ce matin, pour préparer le pain, parce que nous savions que la journée serait très occupée, […] et, hier, nous sommes partis à minuit. Faut vraiment aimer ce qu’on fait pour se dévouer à ce point‑là. »

Je soupçonne que certaines des personnes qui viennent au phare de Ferryland sont attirées autant par la possibilité de rencontrer certains des meilleurs ambassadeurs du patrimoine culturel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador qu’elles le sont par les mets et la vue. Cette entreprise est une grande source d’inspiration.

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