Croisières sur le Saint‑Laurent : en avant toute!


(article publié initialement dans la revue TOURISME)

Au Québec, le fjord du Saguenay est depuis bien longtemps une destination-phare. Depuis l’époque des « bateaux blancs » du 19e siècle, les visiteurs sont fascinés par la rivière Saguenay, qui coule vers le Saint-Laurent dans un profond chenal encadré de très hautes falaises. Il ne faudrait pas se surprendre que les croisiéristes aient enfin cherché – en parcourant ces eaux éminemment navigables – la possibilité de rencontrer les gens de la région du Saguenay.

Priscilla Nemey travaille pour Promotion Saguenay, un bureau de tourisme chargé de développer le marché des croisières. En 2006, les efforts de son équipe ont donné lieu à l’établissement de 10 ports d’escale, ce qui est impressionnant, étant donné que c’était la saison inaugurale de l’organisme. Mme Nemey estime que jusqu’ici, environ 60 navires de croisière visitaient le fjord chaque année – sans faire escale. Ce qui a changé en 2006, ç’a été la possibilité pour les croisiéristes d’offrir à leurs passagers un riche assortiment de produits touristiques régionaux à Chicoutimi, Jonquière et La Baie, grâce à l’utilisation d’autocars.

« Nous savons que le pouvoir d’attraction du fjord est énorme, puisque c’est la seule structure géologique du genre en Amérique du Nord », explique Mme Nemey. « C’est une attraction majeure que l’on peut visiter en bateau sur une distance de 100 kilomètres, à partir du fleuve Saint‑Laurent. Au bout du fjord, on trouve une ville de 150 000 âmes, pourvue d’infrastructures touristiques bien établies. »

Normalement, ce genre de réalisation ne paraîtrait pas si extraordinaire, mais il faut savoir que la ville de Saguenay ne possède pas encore de terminal pour navires de croisière et que pour se rendre à terre, les passagers doivent embarquer à bord de petits bateaux qui font la navette.

« Pour que l’expérience soit encore plus mémorable, nous avons érigé des tentes géantes pour créer sur place l’équivalent d’un terminal. Il y avait dans ce genre de village éphémère comme une atmosphère de marché, car les marchands locaux s’y rassemblaient, au grand bonheur des passagers; les gens d’affaires ont même vendu des peaux d’ours aux visiteurs, qui leur ont demandé de les expédier à des endroits comme Las Vegas. Tout le monde a vécu une expérience fabuleuse! »

De bien des façons, 2006 a été une année charnière, poursuit‑elle : « La majeure partie de notre saison touristique s’étend de juillet à août, et nous recevons 1,5 million de touristes par année. À l’automne, les visites des paquebots de croisière nous permettent de prolonger de deux mois notre saison touristique. Ainsi, les attractions touristiques peuvent rester ouvertes plus tard dans l’année. »

Autrement dit, une saison qui était autrefois plus ou moins « morte » devient maintenant un automne occupé. Les possibilités de croisières printanières sont également envisagées et pas si farfelues, si l’on tient compte des tendances, dans le secteur des croisières. René Trépanier, directeur général de l’Association des croisières du Saint‑Laurent, déclare : « Le fait que les croisiéristes ait consenti à utiliser des navettes à Sagnenay est très révélateur. Cela signifie qu’ils reconnaissent la valeur de cette destination, et ils savent que l’aménagement d’un quai de plusieurs millions de dollars est en cours—que le terminal de bateaux de croisière s’en vient. Au cours des 20 dernières années, le secteur des croisières a enregistré, dans le monde entier, une croissance de 8 % par année. On dit qu’au rythme actuel, un nouveau navire sort des chantiers maritimes tous les 44 jours. »

Selon M. Trépanier, ce sont les membres de son organisme (Montréal et Québec étant les deux principales escales) qui ont compris que la réussite du Saint‑Laurent sur le marché des croisières reposait sur des facteurs relativement simples : « Après avoir discuté avec les croisiéristes, nous avons conclu que pour accroître la part de marché de Montréal et de Québec, il fallait favoriser le développement de nouvelles escales, le long de la voie maritime. »

Le fleuve Saint‑Laurent fait partie du circuit Canada‑Nouvelle‑Angleterre emprunté par les navires partant de New York et Boston. « Entre Charlottetown et Québec, par exemple, les navires doivent naviguer pendant deux jours pour arriver à destination », précise M. Trépanier. « De plus en plus, nous constatons que les croisiéristes préfèrent ajouter des escales, parce que les passagers ont tendance à bouder les longues traversées. »

Il semble que les consommateurs aient vraiment leur mot à dire, explique M. Trépanier. Ils veulent des activités tous les jours. « Pour demeurer compétitives, les régions doivent donc développer leurs produits, le long des itinéraires. »

C’est ainsi que des villes comme Baie‑Comeau ont mis sur pied des programmes de développement très dynamiques, signale M. Trépanier. « Elle a accueilli cette année un navire de 900 passagers. Havre Saint‑Pierre est également dans la course, tout comme Sept‑Îles, la pointe de la péninsule de Gaspé, Percé, Gaspé, Chandler, Trois‑Rivières et les îles de la Madeleine. Rimouski et Tadoussac pourraient également être du nombre. »

M. Trépanier nourrit de grands espoirs pour ces ports, même s’ils ne pourront pas tous accueillir les plus gros paquebots. « Le pont de Québec est un obstacle, à cause du dégagement, mais il n’est pas insurmontable, puisque nous allons continuer à cibler les petits et moyens navires de croisière pour Montréal, et il y en a beaucoup », rappelle‑t-il. « N’oubliez pas que les croisiéristes possèdent toujours des navires en bon état, qui sont moins gros et qui pourraient éventuellement être assignés au Saint‑Laurent, parce que nous pouvons leur offrir d’attrayantes escales. Mais nous allons cibler également les grands paquebots pour les ports qui peuvent les recevoir. »

M. Trépanier estime que d’ici 2014, Montréal devrait presque doubler son volume de passagers – qui passerait à 65 000 – à cause de la stratégie qui a été mise en place. « Les gens investissent dans notre groupe de marketing. Nous faisons valoir nos efforts collectifs par le truchement de campagnes promotionnelles et d’activités de relations publiques et de vente exercées pour leur compte. Pour la province, nous en sommes à 119 000 visiteurs, cette année. En 2014, nous visons le chiffre de 342 000 passagers. Nous pensons que nous aurons alors presque triplé le nombre de passagers de navires de croisière qui s’arrêteront dans nos ports ».

Pour étayer ses dires, M. Trépanier prend pour preuve les activités des chantiers maritimes : « La Pearl Seas Cruises fait construire à Halifax un navire qui s’arrêtera en 2008 dans les provinces de l’Atlantique et le long du Saint‑Laurent, souvent dans des endroits auxquels nous n’aurions pas pensé. Heureusement que dans le secteur des croisières, les réservations se font deux ans d’avance; c’est ainsi que l’industrie peut savoir très tôt dans quelle direction le vent soufflera. »

Martine Bélanger est directrice pour le marché des croisières, au Port de Québec, et présidente de l’Association des croisières du Saint‑Laurent : « À l’heure actuelle, la Méditerrannée est probablement notre plus grande concurrente. Sur le Saint‑Laurent, les itinéraires de trois à quatre jours sont impensables. Il faut au moins sept jours, si le départ se fait de New York ou Boston. La migration des navires de croisière vers la Méditerranée, l’automne, nous pose un défi; c’est pourquoi nous travaillons si fort pour enrichir nos produits. Nous espérons rallonger la saison touristique sur le Saint‑Laurent non seulement à l’automne, mais aussi au début du printemps ainsi qu’en mai, juin et juillet, quand se tient toute une batterie de festivals. Nous continuerons à privilégier les itinéraires axés sur les couleurs automnales, mais nous devons aussi démontrer aux croisiéristes que les possibilités d’offrir ici des itinéraires alléchants sont incomparables. »

Les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec, qui auront lieu en 2008, n’ont certes pas nui aux efforts de Mme Bélanger. « Nous faisons valoir la pertinence de l’anniversaire de Québec depuis plusieurs années maintenant et nous prévoyons déjà que 2008 sera une année record pour Québec et le Saint‑Laurent. »

Mme Bélanger espère que l’esprit de concertation qui a aidé à faire éclore la destination Saint‑Laurent se poursuivra, puisque l’avenir n’a jamais été aussi prometteur.

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