Regard neuf sur une tradition des Prairies: Great Canadian Barn Dance

(article publié initialement dans la revue TOURISME)

Pour beaucoup d’entre nous, notre dernière sauterie champêtre appartient sans doute à un lointain passé. Or, une famille de l’Alberta a décidé d’offrir une nouvelle expérience aux gens qui meurent d’envie de danser le rigodon sur le plancher d’une grange.

Le Great Canadian Barn Dance de la famille Kunkel, de Hill Spring, en Alberta, est en quelque sorte l’antithèse du club champêtre; c’est un établissement sans prétention, situé au milieu de nulle part, qui est devenu l’un des rendez‑vous familiaux les plus excentriques du Canada. Inspiré d’abord par son père Lloyd, qui a lancé le concept durant les années 80, Trevor Kunkel, son frère et leur famille prennent graduellement en main une affaire dont la réussite se répand comme un feu de broussailles.

« Nous avons toujours fait du divertissement », avoue‑t-il. « Papa a commencé quand il était jeune. Nous avons fait partie de son groupe et nous avons joué dans la région de Calgary pour quelque temps. Nous avons ensuite lancé notre propre groupe, tandis que papa continuait de son côté. Il était sur le point de prendre sa retraite en 1985 quand il a eu l’idée d’organiser des danses à la ferme – comme celles que nous avions l’habitude de fréquenter dans notre jeunesse. »

Le destin a frappé à la porte de Lloyd un jour où sa famille animait un repas de crêpes, à Calgary. Un étranger s’est présenté : « Je m’appelle Fred Brooks et je viens d’acheter la propriété de Jack Adey, au nord de Hill Spring. J’ai une grange là‑bas, et ne je ne sais pas quoi en faire. »

Les yeux de son père se sont allumés, se rappelle Trevor. « Mon père et Fred se rendirent à la grange. Il y avait encore des vaches et des chevaux à l’intérieur. Nous avons offert de la louer; nous l’avons nettoyée un peu et nous avons commencé à organiser des danses. » La famille Kunkel a immédiatement saisi les possibilités : « Deux cents personnes pouvaient entrer là‑dedans. Ce gentil monsieur avait réparé le plancher, et ses enfants jouaient à l’étage avant qu’on la prenne en charge. En 1991, nous avons acheté la grange et la trentaine d’acres qui venaient avec. »

Des gens commencèrent à téléphoner et à arriver en caravanes pour demander s’ils pouvaient stationner dans le champ pendant la nuit, au lieu de retourner au camping. Les Kunkel ont alors ajouté un camping de 10 places. « Nous en sommes maintenant à 90 places. Il y a ici un petit lac où nous allons faire du canot et ramer. Au début, nous organisions des danses tous les vendredis soirs de juin, juillet et août. »

« Après un certain temps, le propriétaire a commencé à penser qu’il y avait un peu trop d’activité autour d’ici, alors il nous a permis d’acheter le reste de la propriété et 60 acres de terrain », poursuit Trevor. « Nous avons coulé du béton au rez‑de‑chaussée, où se trouvaient les stalles. Nous avons subdivisé la surface et ajouté le chauffage, une cuisine et une boutique de cadeaux, puis nous avons aménagé une jolie petite aire à l’extérieur de la grange où les gens peuvent s’asseoir pour admirer le lac. Nous avons aussi ouvert un gîte du passant et construit des chalets. »

De mai à octobre, les Kunkel se produisaient aux festivals de musique durant l’été et à des danses, l’automne. Il y avait aussi le Noël du cowboy. « Nous habitons ici depuis 1998, alors il est devenu plus facile de travailler à plein temps en ajoutant des spectacles pour le dîner », confie Trevor Kunkel. « Maintenant, ma femme et mes fils chantent et jouent dans ces spectacles. C’est devenu fou. »

Lorsqu’on lui demande en quoi le produit de la famille Kunkel se distingue des autres, il évoque rapidement la décision que Lloyd a prise au tout début : ne pas servir d’alcool. Sa motivation première peut avoir été de nature religieuse, explique Trevor [son père étant de confession mormone], mais ce qui aurait pu faire échouer une salle de danse s’est transformé en une bénédiction : « Notre clientèle a augmenté à cause de cette décision. Dans les 20 dernières années, quatre personnes seulement nous ont dit ‘Ah bon, vous ne servez pas d’alcool; nous partons tout de suite’. »

Il importe effectivement beaucoup, dans cette exploitation, de rester fidèle à soi‑même. L’authenticité n’est pas incompatible avec l’innovation. « Les gens viennent et nous leur offrons notre buffet de rosbif à volonté. À 18 h, papa les accueille et bénit la nourriture, puis ils passent au buffet et commencent à manger. Après le repas, nous donnons un petit spectacle avec quelques volontaires. Les gens commencent à rigoler et à s’amuser, ce qui donne le ton à la soirée. À 19 h, ils montent à l’étage et la leçon de danse commence. On leur apprend les rudiments de la danse en ligne et le two‑step. Puis, la charrette à foin emmène ses passagers en promenade autour du lac. À 20 h, l’ensemble musical prend la relève et nous jouons jusqu’aux environs de 23 h 30. »

Ce fut un coup de dés pour les Kunkel; il leur fallait un nombre minimum d’invités, et Hill Spring n’est pas exactement situé au centre de l’univers. Mais l’attrait de l’exploitation semble irrésistible : « C’est incroyable. Nous sommes situés au diable vert, mais nous sommes, d’une certaine façon, au beau milieu de tout, car il y a, non loin d’ici, trois sites du patrimoine mondial et un musée de calibre international consacré à la voiture hippomobile. Les enfants étant surstimulés, de nos jours, un retour aux sources les calme. Nous réunissons tous les invités sous un toit, nous leur offrons à manger et leur jouons de la musique entraînante. Ils ont le temps d’apprécier la compagnie des autres. Et ils peuvent constater la transformation qui s’opère chez leurs enfants. »

Le contact avec les enfants importe beaucoup, mais la danse rassemble tout le monde. « Les personnes âgées nous apprécient aussi, car elles revivent leur passé », poursuit‑il. « Tout le monde y trouve son compte. Maman et papa peuvent se détendre parce qu’ils savent que c’est un endroit sûr. C’est un peu comme aller à la ferme de l’oncle Jack pour une réunion de famille, mais sans la famille! »

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