Un pèlerin du tourisme au Canada

(article publié initialement dans TOURISME)

Président du conseil d’administration à la Commission canadienne du tourisme (CCT) depuis 2002, l’Honorable Charles Lapointe, C.P., a marqué l’organisation chargée de vendre le Canada touristique au reste du monde comme peu de gens auront su le faire. Au terme de son mandat de 5 ans au sein de la CCT, il trace un bilan de parcours optimiste, le long duquel les tempêtes se sont à l’occasion révélées providentielles. TOURISME s’est entretenu récemment avec M. Lapointe, peu après que son mandat eût pris fin le 1er décembre dernier.

TOURISME : Les défis que doivent relever les intervenants de l’industrie touristique canadienne aujourd’hui, que ce soit au chapitre du financement de projets, du marketing ou des ressources humaines, laissent croire par moment qu’elle est mal aimée. Êtes‑vous d’accord avec cette perception?

M. Lapointe: Il y a toujours encore un grand travail de pèlerin à accomplir pour convaincre à la fois le secteur privé d’investir dans une industrie qui engendre des retombés considérables, et convaincre les acteurs public de l’importance de ce secteur d’activités comme l’une des grandes industries génératrices de revenus et créatrice d’emploi au Canada.

Récemment, la Secrétaire d’état au tourisme et à la petite entreprise, Mme Diane Ablonczy, annonçait 26 millions de dollars additionnels pour promouvoir le Canada à l’occasion des Jeux olympiques de 2010. Ça c’est une victoire. Le gouvernement du Canada a également injecté des fonds pour promouvoir le fait français au Canada à l’occasion du 400ème anniversaire de Québec.

Je pense qu’avec de bons projets, le travail soutenu du pèlerin permet d’engendrer des alliances avec un plus grand nombre de joueurs privés qui augmenteront l’intérêt des pouvoirs publics à s’engager davantage dans l’industrie touristique. Actuellement, le projet du Massif dans Charlevoix est un exemple très important au Québec. Le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec y investissent tous les deux, de concert avec un investisseur privé qui y met au delà de 200 millions de dollars. Dès qu’il y a un investissement privé important, les projets semblent aller de l’avant. C’est ce qui est arrivé à Mont Tremblant et à Whistler.

TOURISME : Parlons de vos réalisations durant votre mandat maintenant. Lesquelles considérez vous particulièrement marquantes?

M. Lapointe : Je pense que la plus belle opération qu’on a faite a été de créer une nouvelle image de marque pour le Canada. Ce qui a été passionnant est que l’exercice s’est déroulé dans un cadre qui à permis de consulter toutes les régions du pays : de la Colombie‑Britannique à Terre‑Neuve, et dans certains de nos marchés principaux. Cela a servi beaucoup à consolider les liens qui unissent la CCT avec l’industrie touristique au Canada. Canada. Explorez sans fin, c’est un énoncé qui perméabilise toute l’orientation stratégique de la CCT pour soutenir l’industrie, et de plus en plus on sent une adhésion de toutes les parties vers le tout.

La deuxième réalisation que je mentionnerais, ce sont les nouvelles orientations stratégiques de la CCT. Au début de la deuxième année de mon mandat, le conseil d’administration et tous nos comités ont entamé l’examen à la loupe de chaque marché sur lequel nous intervenions. Après de longues discussions, certaines déchirantes, on a convenu de faire passer le nombre de marchés ciblés par la CCT de 15 à 8. Ce fut une décision très difficile, parce qu’on avait quand même tissé des liens en Italie, en Hollande, en Suisse, à Taiwan et à Hong Kong. Mais cela s’est avéré la bonne décision sur le plan stratégique, parce qu’elle allait nous permettre d’avoir un impact plus fort sur les marchés qui donnaient les meilleurs rendements.

Dans le même élan, nous prenions la décision la même année de nous tourner résolument vers les communications électroniques. Cela ne semble pas très original en surface, mais c’était une décision à prendre. Le fait d’élaborer des stratégies qui nous amèneraient à être en relation directe avec les consommateurs par le biais d’Internet, nous a mené à changer de cap si bien que la CCT ne dépend plus maintenant uniquement de l’éventail des médias publicitaires conventionnels des domaines de l’imprimé, de la radio ou de la télé.

La troisième réalisation, et cela demande des efforts continus, c’est le renforcement du rôle de leadership de la CCT. Nous avons eu beaucoup d’occasions de démontrer son importance au cours des 5 dernières années, suite aux événements du 11 septembre 2001, et à ceux reliés au SRAS à Toronto qui menaçaient la prospérité même de l’industrie touristique à travers tout le pays. Durant ces deux crises, je crois que la CCT a su bien jouer son rôle de rassembleur.

TOURISME : Quel élément clé identifieriez vous comme fondement à ce rôle de leader?

M. Lapointe : Ce n’est pas très sorcier le leadership. Il faut avoir un minimum d’écoute et de capacité à aller chercher ce qu’il y a de mieux chez nos collaborateurs. Le leadership c’est aussi savoir inspirer la confiance et amener les gens qui travaillent pour nous à donner le meilleur d’eux‑mêmes.

TOURISME : Sur le plan des défis auxquels la CCT fait face à l’heure actuelle, lesquels considérez‑vous comme les plus pressants?

M. Lapointe : Le premier défi qui préoccupe toute l’industrie canadienne c’est évidemment le déclin soutenu du nombre de touristes en provenance des États‑Unis, un phénomène qui peut être observé dans toutes les régions du Canada. Notre gros volume de visiteurs étrangers provient des États‑Unis. Alors on essaie plusieurs choses avec nos partenaires en nous concentrant dans les plus grandes villes, parce qu’on constate que la baisse est beaucoup moins marquée chez les Américains qui viennent par avion de Californie, de Washington, du Texas, de Floride ou de New York.

Dans ces cas‑là, on parle même d’une légère augmentation en 2007. On n’a pas trouvé la recette pour séduire tous les territoires frontaliers, cependant. Je crois que ce fut une sage décision pour la CCT que de cesser ses actions dans les territoires frontaliers, puisque Vancouver est déjà actif à Seattle; Toronto et Niagara Falls sont actifs à Buffalo. Ce sont des destinations voisines; Windsor va être actif à Détroit, et Montréal investit dans sa présence à Montpelier, Plattsburgh et Burlington.

En revanche, cela permet de nous tourner vers d’autres marchés, que ce soit le Mexique, la France et l’Angleterre qui performent bien. Le nombre de visiteurs en provenance de Chine augmente. Mais la Chine représente un autre défi, et je dois dire que le fait qu’on n’ait pas réussi en 2007 à obtenir le statut de destination approuvée me laisse tout à fait perplexe. Cela me frustre, d’autant plus que les États‑Unis viennent tout juste d’obtenir ce même statut tant convoité.

Sur un autre plan, nous faisons face à une concurrence internationale beaucoup plus forte qu’auparavant; de nouvelles destinations touristiques sont nées. Il y a un engouement à l’heure actuelle pour la Croatie, l’Europe de l’Est en général. Le Laos commence à s’ouvrir, après le Vietnam. Ces nouvelles destinations font que la tarte est de plus en plus divisée. Alors il faut maintenir nos parts de marché et bien marquer les avantages qu’offre le Canada comme destination touristique. En faisant appel à l’imaginaire et au sens de l’aventure du consommateur, avec la nouvelle image de marque du Canada, on a peut‑être entre les mains le bon outil. Mais on n’en aura la confirmation qu’après l’avoir expérimenté pendant une dizaine d’années.

TOURISME : Comment l’industrie touristique peut‑elle mieux se préparer à faire face à ces défis?

M. Lapointe : Je ne suis pas du tout pessimiste. Il est certain qu’on a encore un travail à faire au niveau d’une plus grande cohésion de l’industrie. On est bien loin du secteur de l’agriculture qui est en mesure d’exercer un lobby beaucoup plus fort que nous. Nous nous y appliquons tous. L’Association des hôtels du Canada, les associations d’hôtels régionales et l’Association de l’industrie touristique du Canada le font. Mais nous avons encore du travail à faire pour que nous puissions éventuellement parler d’une seule voix. J’entends par là également être en mesure de se présenter sur les marchés non pas d’une façon dispersée, mais en tant que partie d’un tout qui s’appelle le Canada.

Est‑ce que l’adversité ne nous aiderait pas à nous coaliser? Nous avons déjà enchâssé l’importance du rôle des partenariats non‑traditionnels dans les priorités de la stratégie 2008‑2012. Nous voulons les accentuer davantage. Je suis convaincu que parmi toutes les ressources à notre disposition en ce moment, les partenariats non‑traditionnels constituent le meilleur moyen de globaliser l’industrie touristique canadienne. À nous de les mettre en chantier.

TOURISME : Merci M. Lapointe.

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